En odeur de sainteté : l’état de sainteté aurait-il donc une odeur?

En odeur de sainteté : l’état de sainteté aurait-il donc une odeur?

 

Régis Olry

Professeur titulaire d'anatomie à l'UQTR, lauréat de la Society for Teaching and Learning in Higher Education et de l'International Society for the History of the Neurosciences, ancien collaborateur du Dr Gunther von Hagens (inventeur de la Plastination), Régis Olry partage ses recherches entre l'histoire des sciences morphologiques, la Révolution française, et les fantômes du folklore asiatique. Son odeur préférée est celle du muguet.

 

 

Nul ne sait quand, où, ni par qui fut utilisée pour la première fois l’expression « en odeur de sainteté », prémisse à tout espoir de canonisation. Mais des racines, au moins chrétiennes, sont bien documentées. Ainsi Saint Paul, dans sa deuxième Épître aux Corinthiens (II, 14) écrivit que « Dieu […] répand par nous en tous lieux l’odeur de la connaissance de son nom » (1), et les fidèles de Smyrne, décrivant le martyre de leur évêque Saint Polycarpe en 155, témoignèrent avoir senti un « parfum exquis, comme une odeur flottante d’encens ou de quelque autre épice précieuse » (2). Le regretté Jean Delumeau ne nous rappelait-il d’ailleurs pas les « parfums sublimes » du paradis? (3)


Les sources de ces étranges odeurs furent diverses : une tombe, la cellule d’une religieuse — cas de Donna Vittoria Colonna (1492-1547) (4) —, mais le plus souvent une partie ou une émanation du corps lui-même : l’haleine (Guthlac de Croyland, 673-714), un doigt et les larmes (Jeanne Marie de la Croix de Roveredo, 1603-1673) (5). Les stigmates furent eux-aussi identifiés comme sources de ces parfums mystiques : parmi les 321 stigmatisés étudiés par le docteur Antoine Imbert-Gourbeyre, celui-ci nous apprend qu’un linge passé sur les stigmates de Véronique Giuliani (1660-1727) était « tout mouillé d’un sang frais et répandant une odeur agréable » (6). Quant à la nature de ces parfums, on crut reconnaître plusieurs variétés de fleurs, dont des violettes (Catherine de Ricci, 1522-1590), mais habituellement on se contenta d’un qualificatif : odeur « excellente » (7) (Agnès de Jésus, 1602-1634), « céleste » (8) (Marie des Anges, 1661-1717), ou parfum « délicieux » (9) (Marie de Jésus Crucifié, 1846-1878).


Mythe ou réalité? Limitons-nous à esquisser quelques hypothèses concernant le mythe, car la réalité échappe naturellement à toute argumentation. Artéfact tout d’abord : dans les Acta Sanctorum de 1858, le bollandiste Victor de Buck (1817-1876) expliquait que ce parfum pouvait s’exhaler de l’encens et des plantes odoriférantes déposées dans le cercueil, et le théologien allemand Adolf von Harnack (1851-1930) nous rappelle qu’il était usage courant parmi les chrétiens de jeter des parfums et des épices aux martyrs, en symbole d’immortalité (10). Neurologie ensuite. Le syndrome de Geschwind (11) accompagne certaines épilepsies temporales : or, celui-là comporte une hyperreligiosité, celles-ci des hallucinations olfactives. Voilà qui pourrait, au moins dans certains cas, expliquer ce curieux phénomène.


(1) Gimarey Abbé (1884) Nouveau Commentaire sur tous les Livres des Divines Écritures. Paris, Louis Vivès, huitième édition, vol. 8, p. 7. (2) Cité par Thurston H. (1986) Les phénomènes physiques du mysticisme. Paris, Éditions du Rocher, p. 268. (3) Delumeau J. (2000) Que reste-t-il du paradis? Paris, Fayard, p. 146. (4) Fra Biagio (1681) Vita dell aven. Madre Chiara Maria della Passione. Roma, nella Stamperia di Gioseppe Vannacci, pp. 588-594 (Singolar auuenimento intorno all odore, che si sente nella Cella Venerabil Madre). (5) Weber B. (1856) La vénérable Jeanne-Marie de la Croix, religieuse franciscaine et son époque. Paris, Vve Poussielgue-Rusand. (6) Imbert-Gourbeyre A. (1894) La stigmatisation. L’extase divine et les miracles de Lourdes. Réponse aux libres-penseurs. Clermont-Ferrand, L. Bellet, vol. 1, p. 393. (7) Lantages Ch.-L. de, Lucot P. (1863) Vie de la Vénérable Mère Agnès de Jésus. Paris, Ve Poussielgue-Rusand, vol. 2, p. 525. (8) Sernin-Marie R.P. (1865) Vie de la Bienheureuse Marie des Anges. Paris, Jacques Lecoffre, p. 246. (9) Estrate P. (1913) Vie de Sœur Marie de Jésus Crucifié. Morte en odeur de sainteté au Carmel de Bethléem. Paris, Victor Lecoffre, p. 354. (10) Harnack A. von (1878) Zu Eusebius Historia eccles. IV, 15, 37. Zeitschrift für Kirchengeschichte II : 291-296. (11) Geschwind N. (1973) Effects on temporal-lobe surgery on behavior. New England Journal of Medicine 289 : 480-481.
 

Rédigé par Régis Olry

Articles connexes