MYSTÈRE : des odeurs bien dangeureuses

MYSTÈRE : des odeurs bien dangeureuses

 

Régis Olry

Professeur titulaire d'anatomie à l'UQTR, lauréat de la Society for Teaching and Learning in Higher Education et de l'International Society for the History of the Neurosciences, ancien collaborateur du Dr Gunther von Hagens (inventeur de la Plastination), Régis Olry partage ses recherches entre l'histoire des sciences morphologiques, la Révolution française, et les fantômes du folklore asiatique. Son odeur préférée est celle du muguet.

 

 

 

Certaines réactions aux odeurs restent inexpliquées à ce jour. Le professeur Olry de l’Université du Québec à Trois-Rivières, nous partage quelques anecdotes dans cette nouvelle rubrique

 

Anecdotes historiques sur l’olfaction 

 

On nomme idiosyncrasie la réponse inhabituelle d’un organisme à un stimulus particulier (visuel, auditif, olfactif, etc.). Par exemple, la malheureuse Princesse de Lamballe s'évanouissait à la simple vue d’un bouquet de violettes ou d’un crustacé, que ceux-ci soient d’ailleurs réels ou représentés sur une peinture (1). Au cours de l’histoire, certaines odeurs furent également impliquées dans — à défaut d’être démontrées directement responsables de — quelques étranges manifestations cliniques, allant parfois jusqu’au décès.

 

Les fleurs tout d’abord, et revenons aux violettes. Une thèse soutenue en 1762 par l’étudiant allemand Peter Rensch,  sous la direction du médecin Daniel Wilhelm Triller (1695-1782), rapporta le cas d’une fille morte d’apoplexie après avoir senti l’odeur de ces petites fleurs (2). Les roses également, dont le parfum provoquait parfois des épistaxis selon Alexander Tassanus (3), et même la mort de l’évêque polonais Lorenz le 7 juin 1232, selon un ouvrage de l’historien Martin Cromer (1512-1589) publié en 1555. D’autres fleurs encore, le lis et le laurier-rose, furent soupçonnés de causer la mort par leur parfum, comme cela semble avoir été le cas à Londres en 1779.(4)

 

Les fruits peuvent aussi être impliqués, et tout particulièrement la pomme. Ainsi Jean Quercet, secrétaire du roi François 1er, se mettait à saigner du nez quand, voulant vaincre son aversion pour les pommes, il se forçait à en sentir l’odeur (5). Quant au chirurgien et anatomiste Hyacinthe Gavard (1753-1802), il avoua être tombé en convulsion après avoir mangé une pomme, fruit dont il détestait l’odeur (6).

 

“le sens de l’odorat est au goût ce que celui de la vue est au toucher; il le prévient, il l’avertit..”

- Jean-Jacques Rousseau

 

Les animaux pour finir ce survol. Le lièvre a, semble-t-il, une odeur particulière puisque celle-ci faisait immanquablement s’évanouir l’actrice Louise Contat (1760-1813); étrange caractéristique qu’elle partageait d’ailleurs avec un Amiral de France, le duc d’Epernon (1581-1642) (7). Un certain Dr Wagner, de Vienne, publia en 1811 dans le Journal de Hufeland un cas de patient qui perdait connaissance lorsqu’il était exposé à une odeur de bouillon d’écrevisse (8), ce qui nous évoque de nouveau la Princesse de Lamballe.

 


Dans son Émile ou de l’éducation de 1762, le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1715-1778) avait écrit que « le sens de l’odorat est au goût ce que celui de la vue est au toucher; il le prévient, il l’avertit de la manière dont telle ou telle substance doit l’affecter et dispose à la rechercher ou à la fuir, selon l’impression qu’on en reçoit d’avance »(9). On peut certes questionner, en matière d’éducation, la crédibilité de celui qui abandonna ses cinq enfants, mais ses observations au sujet de l’olfaction furent des plus pertinentes!

 

 


(1) Decker M. de (1979) La Princesse de Lamballe. Paris, Librairie Académique Perrin, p. 73. (2) Triller D.G. (1762) Dissertatio medica inauguralis de morte subita ex nimio violarum odore oborta. Vitembergae, Prelo Ephraim Gottlob Eichsfeldii. (3) Cité par Joal (1897) Epistaxis dues aux odeurs. Revue hebdomadaire de laryngologie, d’otologie et de rhinologie 18 (26) : p. 754. (4) Cité par Cloquet H. (1821) Osphrésiologie. Paris, Méquignon-Marvis, p. 93. (5) Bruyerinus, De re cibariâ. Francofurti, Officina Paltheniana, 1600, lib. Xi,, cap. xvi, p. 468. (6) Gavard H. (1802) Traité de splanchnologie, suivant la méthode de Desault. Paris, Méquignon l’aîné, seconde édition revue et corrigée, p. 183. (7) Vaidy (1818) Idiosyncrasie. Dictionnaire des sciences médicales. Paris, C.L.F. Panckoucke, vol. 23, p. 500. (8) Kérivalent (1812) Les antipathies. Esprit des Journaux, français et étrangers 1, p. 265. (9) Rousseau J.-J. (1808) Émile ou de l’Éducation. Paris, Firmin Didot, vol. 1, p. 261.

Rédigé par Régis Olry